J'ai dîné l'autre soir avec la Princesse Hermine de Clermont-Tonnerre et avec mon ami Crébillon, fils de son père, nous nous demandions comment cette femme qui n'a rien appris, ou
s’est crue dans l'obligation de tout oublier, peut-elle parler sans
cesse ? C'est qu'elle n'a pas de fonds à épuiser. Quelques mots favoris,
quelques tours précieux, quelques exclamations, de fades sourires, de petits
airs fins, lui tiennent lieu de tout. Eh bien ! oui, elle disserte sans
raisonner, et voilà ce qui fait le sublime de sa personne.
La princesse Hermine de Clermont -Tonnerre évite souvent de
dire des choses pensées. Elle laisse au vulgaire, et le soin de
penser, et la crainte de penser faux. Persuadée d'ailleurs que, plus l'esprit
est cultivé, moins il conserve de naturel, elle s’est volontairement bornée à
quelques idées frivoles, sur lesquelles elle voltige sans cesse ; ou, si par
hasard elle sait quelque chose, c'est d'une façon si superficielle, elle en
fait elle-même si peu de cas, qu'il serait impossible de lui donner des
ridicules là-dessus. Rien n'est plus indécent pour elle que de passer pour
savant.
Si elle a le bon ton de décider toujours, elle n'a point celui de justifier jamais sa décision. Ignorer tout, et croire
n'ignorer rien ; ne rien voir, quelque chose que ce puisse être, qu'elle ne
méprise ou ne loue à l'excès ; se croire également capable du sérieux et de la
plaisanterie ; ne craindre jamais d'être ridicule, et l'être sans cesse ; mettre
de la finesse dans ses tours et du puéril dans ses idées ; prononcer des
absurdités, les soutenir, les recommencer : voilà ce qui caractérise et qui fait la gloire de la
Princesse Hermine de Clermont-Tonnerre.
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